Industrie 4.0, De quoi parlons nous ?

Définition

L’industrie 4.0 désigne la quatrième révolution industrielle. Comme toute révolution, il est difficile d’en donner une définition exhaustive qui en décrive précisément tous les éléments constitutifs. Cependant, deux caractéristiques majeures la distinguent des précédentes.

  • Premièrement, son essence repose littéralement sur les données. Ce sont elles qui alimentent les nouvelles technologies issues des systèmes de production. Là où les révolutions industrielles antérieures s’appuyaient sur de nouvelles sources d’énergie et de nouveaux modèles de management, l’industrie 4.0 valorise les données générées par des moyens de production existants afin d’influencer les tendances souhaitées.

  • Deuxièmement, elle coïncide avec la maturité atteinte en très peu de temps par une dizaine de technologies majeures, ce qui favorise l’apparition de nouveaux modes de fonctionnement dans les entreprises. Ainsi, on ne classe plus les organisations en fonction de leur “maturité digitale”, mais selon le chemin qu’elles ont prise pour l’atteindre.

On peut donc définir l’industrie 4.0 par la capacité d’une industrie à collecter, stocker, sécuriser, analyser et exploiter les données de son système de production pour impacter les tendances de son choix et optimiser ses fluxs.

Un peu d’histoire

Historiquement, le concept d’« industrie 4.0 » apparaît en Allemagne au début des années 2010. Il résulte d’une initiative gouvernementale visant à offrir un avantage compétitif à son industrie, notamment dans le secteur des machines de production, dans un contexte de mondialisation accrue et de concurrence croissante des pays émergents. L’objectif était de maintenir la puissance industrielle allemande en s’appuyant sur les opportunités offertes par les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Pour la première fois, il devenait possible de connecter entre elles des machines dites “intelligentes”, capables de dialoguer en temps réel avec d’autres systèmes et les opérateurs humains. Cette possibilité de créer des “usines connectées” promettait une optimisation de la production, mais aussi une transformation complète des méthodes de travail, depuis le flux logistique en amont jusqu’à la livraison au client final.

Le concept s’est ensuite rapidement diffusé à l’échelle mondiale. Toutes les organisations cherchent en effet à réduire les risques et l’incertitude, tout en renforçant leur compétitivité. Connaître en temps réel l’état de son système de production devient alors un avantage stratégique. Dans les années suivantes, plusieurs technologies clés atteignent un point de bascule. Chaque avancée nourrit la suivante, créant une dynamique vertueuse d’innovation et d’opportunités.

Ces évolutions ne se produisent pas dans un vide social. Au tournant des années 2000, les sociétés occidentales connaissent plusieurs transformations majeures :

  • L’essor d’internet et de la téléphonie mobile, qui modifie les modes de communication et de consommation.

  • La montée en puissance de la personnalisation de masse, avec des clients exigeant des produits adaptés à leurs besoins spécifiques plutôt que des solutions standardisées.

  • Une pression croissante liée à la durabilité et à l’optimisation énergétique, portée par des préoccupations environnementales et les débats sur le changement climatique.

  • La concurrence des économies asiatiques, offrant une main-d’œuvre moins coûteuse, pousse les industries européennes à repenser leur modèle pour conserver leurs marges tout en produisant localement.

L’ensemble de ces éléments mis bout à bout forme le creuset dans lequel l’industrie 4.0 à pu prendre forme. La capacité à exploiter les flux d’informations en temps réel devient ainsi un atout décisif. Les entreprises peuvent ajuster rapidement leurs paramètres de production, anticiper les imprévus, réduire les pertes et optimiser l’utilisation des ressources. Cette flexibilité n’est pas seulement technologique : elle répond aussi à l’exigence sociétale d’une adaptation rapide aux marchés et à l’évolution des comportements de consommation. Le concept d’« industrie 4.0 » n’est donc pas seulement d’origine politique ou technologique. Il traduit la convergence entre innovations industrielles et mutations profondes des sociétés.

Technique ?

Le point de départ de cette transformation réside dans la volonté, apparue dès les années 1990, de connaître l’état des machines en temps réel. Cela pose les bases du concept de jumeau numérique. Tirant ses racines de recherches menées par la NASA sur le contrôle à distance, ce concept se généralise avec l’intégration massive de capteurs connectés dans les lignes de production, puis directement sur les produits, grâce aux progrès de l’internet des objets (IoT). L’usage de la RFID pour le suivi logistique marque une rupture dans la capacité à surveiller et à optimiser en continu les systèmes physiques, et n’a cessé de se développer depuis.

Ce foisonnement de capteurs a ouvert la voie à l’explosion des objets connectés dès les années 2000. L’industrie a été la première concernée, avant que ce mouvement touche la vie quotidienne, notamment avec la généralisation des « wearables » (bracelets, lunettes, casques de réalité virtuelle), rendue possible par la miniaturisation de l’électronique et l’expansion des types de connectivité sans fil. Dans ce contexte, la robotique industrielle moderne, née dans les années 1950 et accélérée dans les années 1980, connaît un tournant avec l’avènement de la robotique collaborative (cobotique). Cette approche, basée sur la collaboration homme-machine, a profondément transformé l’organisation des ateliers et la sécurité au travail, en réponse à la demande d’environnements plus sûrs, ergonomiques et flexibles. Ce sont ensuite les drones, AMR et AGV qui bénéficient de ces avancées et voient leurs cas d’usage s’étendre à de nombreuses industries.

En parallèle, l’apparition des fablabs au début des années 2010 consolide la diffusion de la fabrication additive. L’imprimante 3D connaît alors une adoption massive par un public de plus en plus large. Rapidement, la diversité des techniques et la baisse des coûts favorisent des usages dépassant le prototypage pour couvrir la production en petites séries et la personnalisation des biens dans de nombreux secteurs.

Tous ces dispositifs innovants reposent sur le développement de logiciels industriels, comme les MES (Manufacturing Execution Systems), dont le déploiement s’accélère avec la généralisation des ERP dès les années 2000. Plus récemment, l’essor du mouvement « no code », largement adopté à partir des années 2010, a démocratisé la programmation pour les non-développeurs.

L’intelligence artificielle, théorisée dès les années 1950, fait son retour dans l’industrie après plusieurs « hivers », soutenue par les progrès du machine learning dès les années 2010. Aujourd’hui, elle s’impose comme un élément central des usines modernes, en rendant accessible l’analyse prédictive, la vision artificielle et l’optimisation continue des flux industriels.

Face à la multiplication des systèmes connectés, la cybersécurité opérationnelle devient un enjeu central. De nombreuses entreprises industrielles admettent avoir rencontré des problèmes de sécurité liés à leurs équipements. Cette situation impose la mise en place de stratégies “cyber” adaptées aux systèmes de production, tout en préservant la continuité des chaînes de production et la souveraineté sur les données.

Chacune de ces technologies, souvent associée à une avancée sociétale (démocratisation des outils numériques, exigences de personnalisation et de durabilité, sécurité au travail, baisse de la résistance au changement), agit en synergie avec les autres. Par exemple, un robot doté d’intelligence artificielle embarquée et d’une caméra haute résolution n’est plus limité à des tâches prédéfinies. Il peut s’adapter en temps réel, reconnaître des formes mouvantes, évoluer dans des environnements dynamiques et alimenter en continu des bases de données. Cela illustre pleinement la convergence des innovations au service de la flexibilité et de la performance des industries actuelles.

Dans ce contexte, le « big data » industriel englobe toutes les données issues des systèmes de production au sens large. Leur collecte et leur traitement permettent une connaissance approfondie de l’état du système industriel et facilitent les prises de décisions, qu’elles soient opérationnelles à court terme ou stratégiques à long terme. Ce cycle d’améliorations successives constitue l’épine dorsale de la quatrième révolution industrielle : il est universel et dépasse les frontières sectorielles, autorisant des synergies entre entreprises et domaines sans lien évident, le tout avec une réactivité en temps réel.

Révolution ou évolution ?

Enfin, cette dynamique déborde largement du secteur industriel et concerne l’ensemble de la société. Grâce à de nouvelles solutions de gestion énergétique et de transmission des données, les capteurs gagnent en efficacité et en durabilité. Ils constituent la base des « smart cities » et de la domotique. La fabrication additive ouvre des perspectives inédites dans la santé, notamment avec la production de prothèses et d’orthèses. La réalité augmentée, virtuelle et mixte trouve de nombreux débouchés, dans le jeu vidéo comme dans la formation. La robotique s’invite dans les secteurs des services et de la défense, bouleversant à chaque fois les paradigmes établis. De façon plus globale, l’industrie 4.0 agit comme un miroir de la société qui l’a vue naître, et son évolution n’en est qu’à ses débuts.

Expliquer une révolution et ses impacts alors qu’elle se déroule sous nos yeux n’est pas chose aisée. L’industrie 4.0 est la première révolution qui se théorise simultanément à sa mise en œuvre. Cela constitue une différence par rapport aux précédentes mutations industrielles, qui ont été conceptualisées bien plus tard, à la lumière d’une prise de conscience des profondes transformations des méthodes de production. Auparavant, l’expression consacrée était le « progrès technique », s’étendant sur plusieurs générations. Cet état de fait n’est plus d’actualité : les évolutions sont si nombreuses et rapides qu’une seule génération peut en connaître plusieurs majeures concernant les systèmes de production. On observe donc des transformations affectant des domaines multiples, à la fois indépendants et interconnectés en raison des usages qui en sont faits. Le progrès technique, impactant chaque technologie, constitue ainsi la fondation de cette révolution 4.0. La consécration de cette révolution interviendra lorsque ses différents outils se seront imposés comme des éléments constitutifs de la nouvelle « normalité » industrielle.

Le partage d’informations et l’émulation permise par les nouvelles technologies de l’information et de la communication facilitent, mais aussi obscurcissent, le développement de cette révolution. D’un côté, les travaux scientifiques n’ont jamais été aussi accessibles, ce qui renforce les consensus sur les pratiques, qu’elles soient techniques ou commerciales. Mais le revers de la médaille est le brouillard généré par cette abondante production scientifique, qui réduit, intrinsèquement, la qualité de chaque article en raison d’une revue par les pairs moins systématique et d’une pertinence moindre des commentaires apportés. À cela s’ajoute la surabondance de contenus à but marketing, vantant les mérites de telle ou telle technologie ou méthode, ce qui complique l’identification de solutions pérennes et réellement efficaces pour surmonter les obstacles rencontrés. Néanmoins, l’industrie 4.0 constitue un véritable raz de marée technologique, trouvant chaque jour de nouveaux cas d’usage et renforçant la nécessité de son adoption, faisant de cette révolution une réalité tangible.

En ouverture de cette brève présentation, il faut souligner que la théorisation approfondie des solutions estampillées 4.0 a créé un terreau fertile ayant fait émerger des concepts et applications fusionnant le travail de l’humain et celui de la machine : on parle ici d’industrie 5.0. Alors que de nombreuses entreprises n’ont pas encore pris conscience de la nécessité impérative d’intensifier l’intégration des nouvelles technologies dans leurs systèmes de production, le progrès avance sans attendre. Prédire l’avenir reste hasardeux, mais il est clair que ne pas prendre ce tournant technologique risque d’entraîner un déclassement de la production industrielle. En conséquence, pratiquer une veille permanente est la meilleur façons de s’assurer que les choix stratégiques soient fondés sur de solide connaissance, en d’autre terme, que les décisions soient éduqués. 

C’est exactement ce que je vous propose !